Jouer un rôle pour apprendre « On disait qu’on était… » (Titre provisoire)
Cet ouvrage aborde la thématique du jeu de rôle dans l’apprentissage, explorant deux catégories principales : les jeux de rôle de formation et les jeux de rôle ludiques. Il décrit ces différents formats, leur utilisation potentielle dans l’enseignement supérieur, et les défis que les enseignant·e·s peuvent rencontrer lors de leur mise en œuvre.
Présentation
Le jeu de rôle est probablement aussi vieux que l’humanité, puisqu’il trouve ses racines dans cette capacité des enfants à se glisser avec aisance et naturel dans la peau d’une autre personne, réelle ou imaginaire (Bowman, 2014). Définir le jeu de rôle n’est pas simple pour autant, étant donné la grande polysémie du terme. Un recensement des écrits portant sur le jeu de rôle et l’enseignement supérieur met en évidence deux catégories principales de jeux de rôles.
Le jeu de rôle de formation est la forme à laquelle il est traditionnellement fait référence, souvent de manière exclusive, lorsque l’on évoque le « jeu de rôle » en éducation (Chamberland & Provost, 1996). Il s’agit alors d’une modalité d’apprentissage actif, qui prend place à côté de l’apprentissage par problèmes, de l’apprentissage par projet, de la méthode des cas, du débat, etc., et qui propose aux étudiants de se glisser dans la peau d’un personnage réel ou imaginaire pour jouer une scène généralement courte à des fins d’analyse, de résolution de problèmes ou d’entraînement. Plusieurs modalités d’organisation sont possibles : faire jouer l’ensemble du groupe classe, diviser les participants en sous-groupes qui jouent en parallèle, ou recourir à la technique dite de l’aquarium, où quelques étudiants jouent la scène devant l’ensemble du groupe qui est spectateur et observateur. À ces trois modalités, Chamberland & Provost (1996) ajoutent la forme interactive inspirée du théâtre forum d’Augusto Boal où les spectateurs sont invités à suggérer des alternatives à la scène de base et à venir jouer la nouvelle version sur scène.
À côté des jeux de rôle de formation, qui prennent racine dans le champ de la psychologie et des thérapies de groupe, il existe également des jeux de rôle ludiques, des jeux de société qui n’ont pas l’apprentissage pour objectif, mais qui, comme d’autres types de jeux, peuvent être « détournés » de leur vocation première et exploités à des fins pédagogiques (voire, dans certains cas, construits spécialement dans un objectif d’enseignement). Loin de former un tout monolithique, le jeu de rôle ludique peut lui-même être subdivisé en plusieurs sous-catégories très différentes.
- Le jeu de rôle sur table : les joueurs incarnent des personnages imaginaires dans un univers fictif, sous la direction d’un meneur de jeu, à la fois arbitre et scénariste, et en s’appuyant sur des règles. Dans l’enseignement supérieur francophone, il existe quelques expériences d’exploitation pédagogique, notamment dans le domaine des langues ou encore du management.
- Le jeu de rôle grandeur nature : contrairement au jeu de rôle sur table où toutes les actions passent par le dialogue, le « grandeur nature » rassemble les participants pour vivre une aventure sur des sites physiques. En matière d’enseignement, la pratique s’en est essentiellement développée dans les pays nordiques où la méthode est souvent utilisée pour sensibiliser à des problématiques sociales.
- Enfin, les années 80 ont vu naître le jeu de rôle sur ordinateur, qui se décline lui-même en deux formes principales. Dans la forme la plus ancienne, le joueur incarne un personnage et vit une aventure en solo dans un monde fictif régi par des algorithmes. Aujourd’hui, ce qu’on appelle les jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs, dont l’exemple le plus connu est sans doute World of Warcraft, permet au joueur d’interagir avec des centaines ou des milliers d’autres personnes et ouvrent des possibilités pédagogiques nouvelles.
Quelle que soit la catégorie, la mise en place d’un jeu de rôle dans un apprentissage exige une solide préparation de l’équipe enseignante. La première problématique rencontrée par les enseignants est d’aligner ces stratégies pédagogiques, qui permettent de favoriser les apprentissages durables, avec les objectifs d’apprentissage visés : quels savoirs, quels savoir-faire, quels savoir-être souhaite-t-on développer ? S’agit-il de faire acquérir de nouveaux savoirs ou de déconstruire des préconceptions qui font obstacle à l’apprentissage ? Le jeu de rôle est-il plus adapté à certains objectifs et lesquels ?
Lorsque l’on parle « alignement pédagogique », on pense également « adapter les méthodes d’évaluation aux apprentissages visés ». Cela fait émerger de nouveaux questionnements : que faut-il évaluer ? Faut-il des grilles d’observation ? Quels domaines semblent pertinents : socioaffectif ? Psychomoteur ?… La définition de ces méthodes et la communication de ces modalités aux étudiants sont de nouvelles étapes pour les enseignants et peuvent faire émerger de nouvelles interrogations par exemple : y a-t-il des disciplines, des thématiques qui semblent plus adaptées à ces méthodes ?
Troisièmement, comme beaucoup de méthodes actives, le jeu de rôle ne s’improvise pas et nécessite une organisation rigoureuse. Le choix et la qualité des ingrédients (lieu, durée, consignes, documents, rôles, postures de l’encadrant, observateurs avec grilles, forme et rôle du débriefing…) participent à la réussite des apprentissages visés, mais comment opérer ces choix ? Quelle est l’influence du séquençage, de l’expertise des encadrants, des rôles et des profils des étudiants-joueurs ? … Et combien de temps faut-il pour atteindre une certaine efficience de cette activité pédagogique ?
Par ailleurs, on sait que des tensions existent entre la dimension « ludique » et la dimension « sérieuse ». Dans un contexte d’apprentissage, le jeu de rôle est souvent décrit comme une activité non libre (des contraintes, un contexte…), certaine (des objectifs pédagogiques définis par l’enseignant) et productive (Vermeulen, 2018) contrairement au jeu en général. Peut-on dépasser cette opposition et comment ? Deuxièmement, si elle est mal utilisée, cette stratégie indirecte d’apprentissage peut-elle être perçue comme une méthode de « manipulation positive » ? Enfin, mettre les étudiants dans la peau de protagoniste nécessite de s’attaquer aux problématiques de régulations du groupe, aux notions de postures, aux comportements parfois inattendus. C’est questionner le contrat pédagogique avec les étudiants, la protection et le respect des individus et des joueurs… Et si ça dérape : doit-on laisser se faire l’action ou doit-on intervenir ? À quel moment ? Comment atteindre un « bon équilibre » ? Où se situe la frontière ?
Autant de questions qui pourront faire l’objet des contributions de ce volume.
Bowman, S. L. (2014). Educational live action role-playing games: A secondary literature review. The Wyrd
Con Companion Book, 112-131.
Chamberland, G., et Provost, G. (1996). Jeu, Simulation et jeu de rôle. Sainte-Foy : Les Presses de L’Université
du Québec.
Vermeulen, M. (2018). Une approche meta-design des learning games pour développer leur usage.
Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain. Sorbonne Université, Faculté des Sciences et
Ingénierie. Français. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01871048
Directeur·trice(s) d’ouvrage
- Eric Uyttebrouck
- Stéphane Guillet
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